Maryam Namazie

Maryam Namazie is a political activist, campaigner and blogger

Israël, le Hamas et le refus du binaire

Translated into French by Entre les lignes entre les mots

Réflexions sur la conférence FiLiA 2025 et la controverse autour des événements parallèles

« Maryam Namazie a évoqué le préjudice indéniable que les organisations islamistes militaristes telles que le Hamas causent aux femmes. C’est ce passage qui a suscité la controverse, car même s’il n’y avait pas grand-chose à redire, cela ressemblait trop à la manière dont les défenseur·es du génocide ont tenté de rejeter la responsabilité des crimes d’Israël sur le Hamas ». – Kay Green

« Mon discours à la conférence #FiLiA2025 à Brighton est déformé pour me présenter comme une partisane du Hamas, afin de servir les intérêts sionistes ». – Rahila Gupta

Le paysage de l’activisme politique moderne est devenu un champ de mines moral, où les valeurs universelles sont régulièrement sacrifiées sur l’autel de loyautés étroites, fondées sur l’identité. La multiplicité est considérée comme une trahison, et la simplicité est utilisée comme une arme. Ce qui devrait être un engagement de principe en faveur des droits universels des femmes est de plus en plus submergé par des dichotomies rigides qui exigent l’allégeance à un bloc de pouvoir plutôt qu’à un autre.

Cette tension n’est nulle part plus évidente que dans les débats sur les droits des femmes et la question palestinienne. L’opposition fondamentale à l’occupation et au génocide israéliens est confondue avec la défense du Hamas et l’antisémitisme. À l’inverse, s’opposer au Hamas et à l’islamisme est présenté comme une défense de l’État israélien et de l’islamophobie. Il s’agit d’une fausse opposition qui ignore les expériences vécues par les femmes.

Reconnaître les multiples formes et fronts de préjudice, ou reconnaître que les droits peuvent être et sont violés par les deux camps, est considéré comme un affront à la loyauté envers le groupe. L’engagement en faveur des droits universels des femmes est traité comme une trahison par les deux camps, étouffant nos mouvements, nos solidarités et la possibilité même de libération.

L’événement parallèle « La libération de la Palestine est une question féministe » et la conférence d’octobre du groupe féministe populaire FiLia, auxquels j’ai participé en tant qu’intervenante, illustrent parfaitement cette incohérence morale.

Lors de l’événement parallèle, organisé par le Réseau féministe anti-impérialiste pour coïncider avec la conférence FiLia, ma contribution sur la nécessité de se libérer du Hamas ainsi que de l’occupation israélienne a été dénoncée par des cris de « honte ». Selon Kay Green dans le Morning Star, seul·e un·e autre intervenant·e a apparemment réussi à « apaiser les tensions » en rappelant au public que je n’étais en aucun cas « une apologiste du génocide ». (Les organisateurs/organbisatrices ne diffusent pas la vidéo sous prétexte fallacieux de raisons de sécurité.)

Il n’est pas surprenant qu’une critique fondée sur des principes à l’égard du Hamas puisse susciter une telle hostilité. Je vois cela se produire depuis des décennies : défendez les apostat·es et vous êtes « islamophobe ». Opposez-vous au racisme anti-musulman et vous êtes un djihadiste infiltré. Condamnez le régime islamique iranien et vous êtes accusé de légitimer le militarisme américain. Opposez-vous aux attaques israéliennes contre l’Iran et vous devenez pro-régime. (J’ai déjà abordé ici la question de la politique identitaire comme terrain fertile pour la division et la déshumanisation). Le scénario est toujours le même : refusez le binaire et vous êtes automatiquement placé dans le camp « ennemi ».

Vous êtes soit avec nous, soit contre nous. Et selon qui nous sommes, vous excuserez les viols, l’occupation et le génocide commis par Israël au nom de la légitime défense, ou vous défendrez les viols et le terrorisme du Hamas au nom de la résistance, même s’il est bien établi que le viol a toujours été utilisé comme arme de guerre. (Voir la conclusion de la Représentante spéciale des Nations unies sur la violence sexuelle dans les conflits, qui estime qu’il existe des motifs raisonnables de croire que des viols et des viols collectifs ont été commis lors des attaques du 7 octobre, ainsi que les allégations de torture et d’abus sexuels commis sur des détenu·es palestinien·nes par les forces de sécurité israéliennes, documentées par le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de humains).

Même si vous avez fait carrière en vous opposant à la violence contre les femmes, vous ferez disparaître comme par magie les viols et les agressions sexuelles commis par le Hamas ou les forces de défense israéliennes, en fonction de vos opinions politiques. Celles et ceux qui s’opposent à la droite chrétienne dans leur propre pays défendront l’islam, le voile, la charia et la théocratie dans le nôtre ou un État fondamentaliste juif en Israël. La violence politique, le viol, le fondamentalisme et la misogynie deviennent acceptables tant qu’ils sont le fait de son « camp ». Le féminisme est conditionnel, selon la tribu de femmes qui est sacrifiée.

Dans certaines franges de la gauche occidentale, le nationalisme blanc est condamné à juste titre, mais le fondamentalisme islamiste au pouvoir est idéalisé comme anti-impérialiste. Pendant ce temps, la droite occidentale met en garde de manière obsessionnelle contre la charia tout en défendant son propre nationalisme chrétien qui s’attaque aux droits à l’avortement, aux droits des LGBT et aux droits des femmes.

Ce n’est pas seulement dû à un refus de prendre en compte les nuances et la multiplicité ou à un faux sentiment de loyauté tribale. Fondamentalement, cela s’explique par le fait que beaucoup de personnes, partout dans le monde, ont adhéré à la plus vieille supercherie politique : le mythe selon lequel celles et ceux qui détiennent le pouvoir et la classe dirigeante incarnent en quelque sorte « leur » peuple, et que s’opposer à un système de domination oblige à adhérer à un autre. La politique tribale ou identitaire homogénéise les sociétés à tel point que les élites deviennent les « véritables représentantes » du peuple grâce à cette fabrication de l’acquiescement et du consentement.

L’escroquerie politique garantit que la solidarité réelle est remplacée par l’allégeance au pouvoir.

Certes, certain·es ne sont pas seulement accusé·es de soutenir un bloc de pouvoir, mais le font ouvertement et sans vergogne. Certain·es défendent l’État israélien, la machine d’occupation, de dépossession, de famine et de massacre de masse derrière le discours de protection des « femmes juives » ou de garantie de la « sécurité des Juifs/Juives ». En effaçant la distinction entre un peuple et un État, elles et ils considèrent toute critique de la politique israélienne comme une menace pour l’existence même des Juifs./Juives De même, certain·es ont une réelle affinité idéologique avec l’islamisme et se cachent derrière la souffrance palestinienne pour défendre une force misogyne, théocratique et autoritaire. Elles et ils invoquent le discours de la libération tout en protégeant un mouvement qui nierait aux femmes, aux personnes LGBT, aux ex-musulman·es, aux Palestinien·nes laïques et aux dissident·es leurs droits les plus fondamentaux. Dans les deux cas, la souffrance des femmes devient un alibi politique utilisé pour blanchir le pouvoir des États et des fondamentalistes.

Cette solidarité sélective ne se limite pas à la Palestine. Dans certaines franges de la gauche occidentale, le nationalisme blanc est condamné à juste titre, mais le fondamentalisme islamiste au pouvoir est idéalisé comme anti-impérialiste. Pendant ce temps, la droite occidentale met en garde de manière obsessionnelle contre la charia tout en défendant son propre nationalisme chrétien qui s’attaque aux droits à l’avortement, aux droits des LGBT et aux droits des femmes.

Il est clair que la libération ne peut se construire sur le dos de classes dirigeantes rivales. Si notre politique ne peut condamner à la fois l’État israélien et le Hamas, si nous ne pouvons nous ranger du côté des femmes plutôt que de leurs tyrans, alors nos cadres ne sont pas seulement insuffisants, ils reproduisent le mal même auquel nous prétendons résister.

Une position féministe sur la Palestine doit s’opposer à l’occupation et au génocide israéliens, ainsi qu’au régime théocratique et misogyne du Hamas.

Bien sûr, l’État israélien et le Hamas ne sont pas égaux en termes de pouvoir. Israël est une force d’occupation, dotée d’une puissance militaire et économique considérable soutenue par les États occidentaux. Cependant, les crimes de l’État israélien n’effacent pas ceux du Hamas, une force théocratique misogyne qui a émergé pour saper la lutte palestinienne et qui est soutenue par de puissants régimes régionaux et internationaux tels que l’Iran, la Russie et le Qatar.

Il est important de noter que critiquer le Hamas ne signifie pas réduire la lutte palestinienne au Hamas. Les Palestinien·nes résistent depuis longtemps à l’occupation grâce à des mouvements féministes, laïques, syndicaux et populaires que le Hamas réprime activement. De même, il existe une riche histoire de résistance des Israélien·nes et des Juifs/Juives contre l’occupation et les atrocités commises en leur nom.

Une position féministe sur la Palestine doit s’opposer à l’occupation et au génocide israéliens et s’opposer au régime misogyne et théocratique du Hamas. Cela n’est pas contradictoire. Il s’agit de positions de principe indissociables.

Une approche fondée sur des principes doit cibler toutes les forces autoritaires qui oppriment les femmes, sans prendre parti pour l’une plutôt que pour l’autre. L’ennemi de mon ennemi n’est pas mon ami. La lutte pour la libération a toujours impliqué de mener le combat sur plusieurs fronts.

Dans sa déclaration de 2024 sur le génocide à Gaza, Feminist Dissent a fait exactement cela en condamnant la campagne génocidaire d’Israël tout en qualifiant le Hamas de force fondamentaliste et antidémocratique dont la répression des femmes et des minorités ne peut être excusée au nom de la libération.

Comme l’affirme l’universitaire palestinienne Nahla Abdo, la lutte des femmes palestiniennes combine nécessairement « les questions de genre avec la lutte nationale et anticoloniale », montrant que la libération doit affronter à la fois le patriarcat interne et la domination coloniale externe.

La libération sans la libération des femmes n’a aucun sens.

C’est une leçon que nous avons apprise en Iran. On a dit aux femmes d’attendre « jusqu’à la libération » de la dictature du Shah pour revendiquer leurs droits. Ce moment n’est jamais venu. La libération des femmes reportée est une libération refusée. De plus, une libération sans libération des femmes n’a aucun sens.

Le militarisme, le colonialisme et le fondamentalisme ne sont pas des systèmes distincts. Ils se nourrissent et se reflètent mutuellement, toujours au détriment des femmes. Pendant la guerre froide, les États-Unis ont soutenu les mouvements fondamentalistes comme rempart contre le communisme. Israël lui-même a permis la montée en puissance du Hamas afin d’affaiblir l’Organisation de libération de la Palestine, laïque.

Le même schéma de tribalisme s’est manifesté dans les attaques contre Rahila Gupta, de Southall Black Sisters, dont le discours lors de la plénière de FiLiA condamnait le génocide israélien ainsi que le fondamentalisme. Un tollé s’en est suivi, et elle a été immédiatement qualifiée d’antisémite et de pro-Hamas.

Au-delà des clivages idéologiques, les accusations d’antisémitisme et d’islamophobie ont la même fonction : faire taire les critiques envers le pouvoir. Ces deux formes de haine sont réelles (même si je préfère le terme « haine anti-musulmane » à « islamophobie ») et doivent être combattues. Mais lorsqu’elles sont utilisées pour étouffer les critiques envers les puissants, elles protègent la classe dirigeante, et non les femmes.

Lorsque la solidarité est remplacée par la loyauté tribale, le féminisme cesse de remettre en question le pouvoir et commence à le refléter. La tâche qui nous attend n’est pas de choisir le moindre de deux autoritarismes (le moindre étant toujours subjectif), mais de refuser les conditions dans lesquelles les puissants exigent notre allégeance.

Un mouvement universaliste de libération des femmes reconnaît que la libération peut être sapée de l’intérieur autant qu’attaquée de l’extérieur, que la lutte anticoloniale sans les droits des femmes n’apporte pas de changement fondamental, et que la lutte contre l’oppression religieuse est indissociable de la lutte contre la violence militaire et étatique. Le mouvement « Femme, Vie, Liberté » en Iran (qui s’inspire du slogan kurde développé pour la première fois au sein du mouvement de libération des femmes kurdes et popularisé au Rojava) incarne ce principe : la libération sans la libération des femmes n’a aucun sens.

Défendre véritablement les droits des femmes, c’est soumettre tous les pouvoirs – étatiques ou fondamentalistes, locaux ou étrangers – aux mêmes normes. C’est précisément là que réside la force de l’internationalisme   dans le refus de la fausse opposition binaire entre oppresseurs rivaux et dans le soutien aux femmes qui refusent et résistent chaque jour.

Maryam Namazie, 9 décembre 2025


Maryam Namazie est une militante d’origine iranienne, écrivaine et porte-parole du Conseil des ex-musulmans de Grande-Bretagne et de One Law for All.


https://freethinker.co.uk/2025/12/on-israel-hamas-and-refusing-the-binary/
Traduit par DE

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