Maryam Namazie

Maryam Namazie is a political activist, campaigner and blogger

La liberté d’expression prend vie là où le délit commence : pour la défense d’Ibtissame Betty Lachgar

Maryam Namazie

L’article a été publié en anglais dans The Freethinker.

La liberté d’expression prend vie là où commence le délit.  Offenser c’est mettre en question les certitudes, dépouiller le sacré de ses privilèges, et de se moquer de la peur et des menaces. Une société qui bannit l’offense bannit la pensée elle-même.

Le Maroc en est le dernier exemple. Depuis le 10 août, la féministe et militante des droits humains Ibtissame Betty Lachgar est emprisonnée pour un Tshirt avec l’inscription «Allah est lesbienne» qu’elle porte depuis des années. Ce qui a changé, ce n’est pas le Tshirt lui-même mais les menaces sur internet qu’elle a reçues après avoir posté une autre photo d’elle-même avec ce même Tshirt fin juillet. Des récitsanonymes liés à une campagne coordonnée par le «Mouvement d’Identité  des Maures», un réseau d’extrême droite connu pour ses actions de cyber harcèlement qui a prononcé d’innombrables menaces de viol et de mort,  taguantmême la Sécurité Nationale du Maroc. Les procureurs ont réagi non pas en protégeant Betty de ces incitations à la violence, mais en la persécutant.

Le 10 août, elle a été arrêtée à Rabat et inculpée sous l’article 267-5 du Code Pénal pour « offense à l’Islam ». Elle risque cinq ans de prison. Son procès, initialement prévu le 27 août, repoussé deux fois, doit avoir lieu le 3 septembre – c’est-à-dire aujourd’hui, s’il a lieu. Pendant ce temps, en tant que survivante du cancer ayant urgemment besoin d’une chirurgie, elle demeure en détention et à l’isolement dans l’attente du procès et sa santé est menacée.

Soyons clairs. Ibtissame Betty Lachgar est en prison au Maroc non pas pour avoir causé du tort à qui que ce soit, mais pour son Tshirt.  Pour cette raison, elle est persécutée et poursuivie en justice, alors que ceux qui l’ont menacée de viol et de mort restent en liberté. C’est toujours le libre penseur qu’on réduit au silence, jamais la foule réclamant son sang.

Les arguments contre elle – qu’elle a insulté l’Islam, mis en danger l’ordre public ou incité à la haine contre les musulmans – ne résistent pas à l’examen. L’Islam, comme le Christianisme ou tout autre foi religieuse, fait partie du domaine des idées et tout le monde au Maroc n’y souscrit pas. Criminaliser la contestation revient à donner aux idées des droits qu’elles ne peuvent avoir, tout en dépouillant les individus des droits auxquels ils ont droit. L’ordre public ne peut justifier des menaces proférées non par la personne elle-même mais par ses opposants. Et son slogan ne ciblait pas les musulmans mais une croyance.

Parler d’insulte à l’Islam revient à confondre intentionnellement la nature des idées. Ce sont les personnes qui ont une dignité et des droits à protéger, et non pas les idées. Les personnes doivent être protégées de tout mal; les idées doivent être soumises à l’examen. Cette distinction est essentielle. Galilée fut puni par l’Eglise Catholique pour voir dit que la Terre tournait autour du Soleil ; Spinoza fut banni de sa communauté juive pour avoir questionné les Ecritures. Ibn Rushd défendit la Raison contre le dogme au XII° siècle, il fut exilé, et ses travaux furent brulés à Cordoue. On pourrait encore et encore poursuivre cette liste. Cela a toujours été le privilège de la religion : être protégée de la critique à laquelle toutes les idées doivent être soumises.

Généralement, l’indignation s’est concentrée se sur le mot « lesbienne ». Qu’y a-t-il donc de si terrible à être lesbienne ? Dieu est quasi-universellement imaginé comme mâle, sans qu’on y objecte. Imaginer dieu comme femelle ou lesbienne est considéré comme offensant parce que cela met en question les normes patriarcales. Pourtant, l’histoire de la région est remplie de déités femelles : par exemple Tanit, adorée dans toute l’Afrique du Nord depuis le V° siècle Avant JC, y compris à Volubilis au Maroc, et les déesses arabes pré-islamiques Al-Lät, Al-Uzzä et Manät, vénérées jusqu’au VII° siècle. La notion de divinité femelle n’est pas étrangère à l’héritage de l’humanité. Le simple fait qu’un Allah femelle et lesbienne « offense » en dit long sur la misogynie enracinée chez les «offensés».

Et n’oublions pas de qui nous parlons ici : Ibtissame Betty Lachgar, une psychologue féministe marocaine, et co-fondatrice de MALI, le Mouvement Alternatif pour les Libertés Individuelles.  Depuis plus de quinze ans, elle a été la voix laïque et féministe la plus forte du Maroc, défiant les lois qui contraignent à jeuner pendant le Ramadan, en organisant un « picnic du Ramadan » en 2009; et en défendant des adolescents trainés en justice pour avoir échangé un baiser, en organisant un « kiss-in » de protestation en 2013 ; et tout cela tout en faisant campagne pour le droit à l’avortement, l’égalité des droits des LGBT et l’autonomie du corps des femmes. Elle est également l’une des rares personnalités ouvertement athées du pays.

La persécution de Betty Lachgar récompense ceux qui la menacent en punissant leur cible. Cela place le dogme au-dessus de la justice et dit aux citoyens marocains qu’ils ne sont libres que pour autant qu’ils font écho à l’orthodoxie, et n’entrent pas en dissidence. Mais la liberté d’expression ne peut exister que pour les seuls croyants, qui peuvent condamner l’apostat et le blasphémateur. Il faut aussi protéger le droit du dissident à questionner, douter, et à ne pas être d’accord.

Au travers de l’histoire, d’Est en Ouest, ceux qui ont osé s’exprimer hors de l’orthodoxie religieuse ont été traités d’hérétiques et d’apostats et ont été sanctionnés. Ce sont pourtant leurs questions qui ont fait avancer la pensée humaine. La lutte pour le droit de douter et de s’opposer au dogme est une lutte pour la connaissance, pour l’égalité, pour le droit à être pleinement humain. Betty Lachgar fait partie de cette lignée des diseurs de vérité. La défendre, c’est défendre notre propre droit à douter, à questionner et à penser librement.

Plus de renseignements en joignant la Campagne des Ex-Musulmans pour libérer Betty.

Lisez la lettre adressée au gouvernement marocain par Ex-Muslims International ici. Extrait :

En tant que partie au Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), le Maroc a l’obligation de protéger la liberté de pensée, de conscience, de croyance et d’expression. Le Comité des droits de l’homme des Nations Unies indique clairement que les lois sur le blasphème sont incompatibles avec ces protections. Si de nombreux Marocains croient en l’islam, beaucoup d’autres n’y croient pas. L’État a le devoir de protéger la liberté d’expression des croyants comme des non-croyants.

Nous appelons donc instamment les autorités marocaines à :

– Libérer immédiatement et sans condition Ibtissame Betty Lachgar ;

– Abandonner toutes les accusations qui criminalisent la croyance et l’expression pacifiques ;

– Garantir l’accès de Betty à des soins médicaux appropriés et la protéger du harcèlement et des menaces.

Ex-Muslim International campaign to #FreeBetty

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