Carte blanche: liberté, dignité et fraternité pour l’Afghanistan, Le Soir, 28 August 2021
Nous, signataires de ce message de solidarité envers le peuple afghan, sommes, certes, contre toute ingérence d’un pays tiers, quelles que soient ses bonnes ou louables intentions, à l’intérieur d’une nation souveraine et indépendante. Nous sommes également, à l’inverse, pour l’autodétermination des peuples, leur autonomie comme leur liberté. Aussi, ce contre quoi nous nous insurgeons donc ici, est-ce, avant tout, la manière – la méthode –, improvisée et bâclée, dont l’Occident, les Etats-Unis d’Amérique en tête, mais aussi l’Union européenne, vient de quitter précipitamment, en ces deux funestes jours des 15 et 16 août 2021, l’Afghanistan, laissant ainsi le peuple afghan en son ensemble, et surtout les femmes, aux sanguinaires mains de fanatiques islamistes, sinistres barbares d’un autre âge, tels que les Talibans.
C’est là un acte inadmissible, sinon révoltant, tant sur le plan humain qu’éthique : indigne de nos démocraties modernes, de leurs valeurs morales comme de leurs principes philosophiques, mais aussi, plus simplement encore, de toute civilisation qui se respecte !
Un nouveau peuple martyr
Oui : le peuple afghan, trahi dans sa noble et légitime aspiration à la liberté tout autant qu’à la dignité, a ainsi été lâchement abandonné à ses bourreaux, qui n’ont comme autre credo que le plus inique, mortifère et rétrograde des fondamentalismes religieux : l’aveugle et pseudo-loi coranique de la charia ! Avec, comme abominable conséquence, une immense, incommensurable, détresse humaine : hommes, femmes, enfants, vieillards, civils et non civils, réunis. C’est dire si le malheur, pour ce nouveau peuple martyr, est grand aujourd’hui !
Ainsi, les vrais humanistes, que la seule conscience morale anime par-delà tout clivage idéologique ou classe sociale, expriment-ils leur plus profonde et sincère compassion, leur entière solidarité et leur indéfectible soutien, au courageux peuple d’Afghanistan, qu’ils n’abandonneront pas, en ce qui les concerne, à un aussi misérable, obscurantiste, cruel et injuste sort.
Un appel pressant, au nom de l’humanisme
Davantage : nous, humanistes de tous bords, citoyens du monde, enfants des Lumières, attachés plus que jamais, en ces heures sombres, aux droits de l’Homme, allons mettre tout en œuvre, humblement mais fermement, dans la mesure de nos moyens, médiatiques et sociopolitiques qu’ils soient, pour mobiliser l’opinion publique internationale, et si possible nos gouvernements européens, afin de venir en aide, plus concrètement, au peuple afghan, et porter secours, plus efficacement, à sa diaspora, sans oublier ses nombreux réfugiés, à travers le monde.
C’est là notre devoir aussi bien que notre responsabilité face à l’Occident, qui indirectement, par imprévoyance et incompétence conjointes, sans même vouloir parler de cynisme, aura ainsi livré de manière éhontée, en cette faillite morale où il a d’abord renié par là ses propres idéaux, le peuple afghan à quelques-uns des pires tyrans, et autres tortionnaires, sévissant impitoyablement, souvent même sauvagement, au sein de l’islamisme radical (que nous ne confondons certes pas avec cette grande et belle culture qu’est celle, d’historique mémoire, de l’islam).
Nous, épris pourtant de tolérance, ne le tolérerons pas, ni ne l’accepterons par on ne sait quel vil calcul politique ou piètre opportunisme géostratégique ! Non : nos valeurs, aussi imprescriptibles qu’inaliénables, se veulent – n’en déplaise à trop de nos chefs d’Etat aujourd’hui – plus hautes et nobles, incorruptibles ! Ainsi, nous, humanistes du monde entier, le clamons encore une fois, en cette douloureuse circonstance, haut et fort, chevillé à notre cœur tout autant qu’à notre raison : vive l’Afghanistan libre, moderne, éclairé et démocratique !
Il s’agit ici, face à l’urgence de la situation, d’un appel pressant adressé ainsi, pour la liberté et la dignité du peuple afghan (comme de tout autre peuple opprimé), au monde civilisé en sa globalité, sans distinctions de nationalité ni de croyance, mais, au contraire, en un authentique esprit de fraternité, de réel partage, tout autant que de véritable cosmopolitisme.
Résistance citoyenne !
Il est impératif, d’autre part, que l’Organisation des Nations Unies se saisisse, toutes affaires cessantes, de ce brûlant dossier d’actualité afin de mettre un terme, au plus vite, à cet indescriptible et dramatique chaos, au sein duquel les Afghans, déjà suffisamment éprouvés par vingt ans d’adversité, outre divers conflits, sentent, face à d’ultérieurs et possibles crimes contre l’humanité, leur existence de plus en plus menacée, y compris de mort.
Nous exprimons également ici notre soutien envers toute forme de Résistance citoyenne – sociale, politique, intellectuelle, artistique – du peuple afghan, et des femmes en particulier, face à cette innommable barbarie des Talibans, lesquels, profitant de cette soudaine débâcle de l’ennemi, se sont en outre emparés sans quasiment combattre, « aubaine » inespérée, de son armement, lourd, neuf, onéreux et sophistiqué à la fois. Le gâchis, énorme, est à son comble !
Ne permettons donc pas, à l’aube de cette deuxième décennie du XXIe siècle, une énième tragédie, sinon un nouveau massacre, voire un génocide, à l’encontre, de surcroît, de millions d’innocents : il en va, par-delà même la survie de tout un peuple, de l’honneur de notre civilisation !
*Signataires : Daniel Salvatore Schiffer, philosophe, écrivain, éditorialiste, professeur de philosophie de l’art ; Abdul-Azim Azad, porte-parole et coordinateur national des réfugiés afghans en Belgique (Bruxelles) ; Stéphane Barsacq, écrivain, éditeur ; Rachid Benzine, islamologue, romancier, chercheur associé au fonds Paul Ricœur ; Erick Bonnier, grand reporter, éditeur, directeur de la collection « Encre d’Orient » ; Jean-Marie Brohm, sociologue, professeur émérite des Universités ; Elham Bussière, psychologue ; Jean-Pierre et Luc Dardenne, réalisateurs, metteurs en scène, producteurs de cinéma, double « palme d’or » au Festival international du cinéma de Cannes ; François Dessy, avocat ; Nadine Dewit, artiste peintre, photographe ; Luc Ferry, philosophe, ancien ministre français de l’Education Nationale ; Antoine Gallimard, président-directeur général des Editions Gallimard et du groupe éditorial Madrigall (Paris) ; Alexandre Jardin, écrivain ; Nadine Lino, présidente de « Live in Color », association humanitaire œuvrant pour l’intégration des réfugiés en Belgique ; Daniel Mesguich, comédien, acteur, écrivain ; Maryam Namazie, porte-parole du Comité International contre la Peine de Mort, « One Law For All » (dont le siège est à Londres), ainsi que de l’Association des Femmes et Ecrivaines Iraniennes ; Fabien Ollier, directeur des éditions QS ? et de la revue Quel Sport ? ; Christiane Rancé, écrivaine ; Robert Redeker, philosophe, écrivain ; Pierre Rizzo, docteur, vice-président de l’association humanitaire « Médecins du Désert » ; Jean-Marie Rouart, écrivain, membre de l’Académie Française ; Isa Sator, artiste peintre ; Eric-Emmanuel Schmitt, écrivain, dramaturge ; Annie Sugier, présidente de la Ligue du Droit International des Femmes (association créée par Simone de Beauvoir) ; Pierre-André Taguieff, philosophe, historien des idées ; Jeanie Toschi Marazzani Visconti, écrivaine, essayiste, journaliste (Milan-Rome) ; Valérie Trierweiler, écrivaine, journaliste ; Alain Vircondelet, écrivain, universitaire ; Jean-Claude Zylberstein, avocat, éditeur.